9/08/2024 | ARCHIVES | Le théâtre et vous Interview inédite de Charles Juliet à Lyon par Réjane Niogret | Charles lit le poème "A Anne de Boissy", Café Français, février 2014
10/08/2024
Le théâtre et vous
Interview inédite de Charles Juliet à Lyon
Sur la Presqu'île, cœur de la ville de Lyon qui bat au rythme de deux fleuves, se trouve le café préféré de Charles Juliet, qui vit tout près. La colline de Fourvière, qui domine ce lieu plein de charme, s'invite au rendez-vous avec le grand écrivain.
RÉJANE NIOGRET : Au mois de juin 1985, la danseuse et chorégraphe Carolyn Carlson a présenté à Lyon, sur la scène du Grand Théâtre de Fourvière, un solo de danse contemporaine qui a marqué le siècle. Charles Juliet, vous étiez parmi les spectateurs qui ont découvert ce soir-là Blue Lady, le solo mythique dans lequel la créatrice décrit les différents âges et humeurs dans la vie d'une femme. Cette représentation vous a inspiré un texte majestueux : « Le théâtre romain de Fourvière », nous permettant de nous asseoir à vos côtés sur les gradins et de vivre par tous nos sens le début de la représentation. Est-il possible que trente ans plus tard vous ayez conservé le souvenir de la représentation ?
Charles Juliet - Café Français - Photo Réjane Niogret (c)
CHARLES JULIET : Oui bien sûr, c'était un grand moment. Comme je l'ai écrit, c'était un « moment d'éternité ». On sent qu'on est vraiment hors du temps. On vit un moment d'une telle beauté qu'on est vraiment projeté ailleurs, qu'on oublie tout et qu'on est simplement là, dans ce regard, à absorber ce qui vous est donné. Je me souviens très bien de ce trouble qui m'avait gagné parce qu'on ne voyait pas bien ce qui se passait. Il y avait cette longue haie et puis ce qui semblait être un long ruban rouge, je crois. On ne comprenait pas et c'est très très lentement qu'on a vu apparaître une main ou un pied, on ne savait pas encore bien. Tout ça c'était vraiment magique. Quand on en parle, on ne peut pas restituer ce qu'il se produisait. Et puis c'est lentement, lentement, qu'on découvre que cette sorte d'immobilité n'est pas totalement immobile, si j'ose dire. C'était comme une statue qui se mettrait à vivre. Et puis progressivement on découvre des gestes d'une extrême lenteur : Carolyn Carlson est là.
Je vous propose que nous poursuivions notre évocation de la scène en nous intéressant plus particulièrement au théâtre. Vous qui êtes un grand lecteur, qui aimez être en connivence avec un texte dans le silence de votre vie intérieure, que vous apporte d'autre le théâtre ?
CHARLES JULIET : Tout d'abord, il faut qu'une pièce soit une réussite parce que si ça n'est pas remarquablement mis en scène et remarquablement joué, eh bien la magie ne se produit pas. Mais lorsque tout est réuni, quand il y a effectivement une très belle mise en scène avec des comédiens doués qui incarnent parfaitement leur rôle, alors on vit vraiment des grands moments. Il m'est arrivé de vivre de très bons moments au théâtre et notamment au théâtre de Fourvière. Je revois très bien certaines images d'une pièce du répertoire ancien, je ne sais plus si c'était Eschyle ou Sophocle, jouée par une troupe de Grenoble. C'était extrêmement bon. C'est toujours passionnant de voir incarné sur scène tous les problèmes de l'être humain, et c'est en cela que le théâtre nous parle profondément.
Vous avez publié en décembre 2000 une pièce de théâtre sur la vie et l'œuvre du poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843). Vous avez choisi une forme littéraire qui ne vous est pas habituelle puisque Un lourd destin est, après Écarte la nuit, votre seconde pièce de théâtre. Comment ce choix s'est-il imposé à vous ?
CHARLES JULIET : J'avais passé en 1986 plusieurs mois en Allemagne et notamment dans la ville de Tübingen qui se trouve dans le sud, en Souabe. C'est dans cette ville que Hölderlin a passé une grande partie de sa vie. C'est là qu'il avait fait ses études de théologie en vue de devenir pasteur, et qu'il y a vécu ses trente six dernières années, recueilli par un menuisier dans une toute petite maison, sur la rive du Neckar, alors qu'il était malade mental. Cette petite maison est devenue depuis le musée Hölderlin. J'ai vécu là-bas et suis devenu ami avec la directrice de ce musée. J'y ai rendu de nombreuses visites. J'ai consulté des reproductions remarquables de ses manuscrits, à tel point qu'on croirait avoir les originaux dans les mains. Bien sûr j'ai lu son œuvre, notamment sa correspondance qui me touche au plus haut point. Je suis parti de Tübingen avec l'idée d'écrire quelque chose sur Hölderlin mais je ne savais pas quoi. J'ai laissé passé les mois et même peut-être je crois les années, et puis un jour j'ai compris que je pouvais peut-être aborder tout cela par une pièce de théâtre. D'emblée j'ai su que je n'avais pas à mettre sur scène Hölderlin, qui est un personnage mythique en Allemagne, et qu'il est impossible de représenter. Je me suis contenté de faire évoquer sa vie par différentes personnes qui l'ont connu, et c'est comme ça que j'ai écrit cette pièce. Je ne me suis pas soucié du problème de représentation et me suis contenté d'écrire.
Votre pièce a-t-elle été jouée?
CHARLES JULIET : Elle a été créée en 2002 par Roger Planchon au TNP de Villeurbanne. J'ai été surpris parce qu'il y avait un décor très important, à mon sens trop important et qui peut-être faisait un peu disparaître le texte. Planchon avait rassemblé tellement d'éléments se rattachant de près ou de loin à la vie et à la pensée d'Hölderlin que pour les gens qui venaient voir cette pièce les intentions n'étaient pas lisibles. J'ai donc un peu regretté ce décor trop imposant. Néanmoins je crois que la pièce a touché. Elle a d'ailleurs été représentée en différentes villes. Malheureusement le décor trop important faisait qu'il était difficile de se déplacer. Il fallait un gros camion, beaucoup de techniciens et ça rendait la pièce beaucoup plus chère.
A-t-elle été créée par d'autres compagnies ?
CHARLES JULIET : Il s'est trouvé que deux ou trois jours après avoir vu la première à Villeurbanne, j'ai vu la même pièce montée à Tübingen dans un petit théâtre à vingt mètres de la tour et du musée Hölderlin. Alors là c'était tout autre chose ! Le décor était peu important mais tout ça était très bien pensé, dans un style un peu expressionniste. J'avais été très frappé par cette représentation qui vraiment n'avait strictement rien à voir avec celle qui avait été donnée au TNP de Villeurbanne.
Votre texte avait été traduit?
CHARLES JULIET : Oui bien sûr. Traduit et publié en Allemagne. Traduit précisément par la directrice de ce musée Hölderlin, de la tour Hölderlin, parce que cette femme connaît fort bien le français et évidemment fort bien l'allemand ; elle a donc fait une bonne traduction.
Y a-t-il eu d'autres créations d' Un lourd destin en France ?
CHARLES JULIET : Non, mais ma première pièce qui avait d'abord été montée à Lyon dans ce qui était à l'époque le théâtre du huitième arrondissement, avait ensuite été montée en Belgique. Et plusieurs fois, le récit Lambeaux a été porté à la scène.
Vos récits, qui touchent profondément de nombreux lecteurs, sont très prisés des gens de théâtre. Vous attendiez-vous à ce que vos œuvres inspirent ainsi les metteurs en scène, les comédiens, les scénographes ?
CHARLES JULIET : Évidemment pas, parce que lorsque j'ai écrit mes récits, Lambeaux et L'année de l'éveil, je ne pensais pas du tout qu'on en tirerait un jour des pièces.µ
C'est plaisant pour un écrivain?
CHARLES JULIET : Oui c'est toujours intéressant, c'est une autre manière de faire vivre ce que vous avez écrit. J'ai vu différentes mises en scène de Lambeaux et L'année de l'éveil a aussi été joué dans un petit théâtre à l'intérieur du centre Georges Pompidou. C'est toujours passionnant de voir comment un metteur en scène s'approprie un texte pour en créer autre chose.
Lambeaux, ce récit rayonnant qui est un hommage à vos deux mères a donc, comme vous venez de le dire, fait l'objet de plusieurs adaptations théâtrales. Pouvons nous évoquer ensemble le spectacle créé en 2005 par le collectif de théâtre lyonnais les Trois-Huit ?
CHARLES JULIET : Je précise que la comédienne Anne de Boissy, qui a donc créé le spectacle, va le redonner lors de quatre soirées au TNP de Villeurbanne, en mars. Anne de Boissy, une très bonne comédienne qui a beaucoup de sensibilité, beaucoup d'intelligence, a parfaitement su recréer sur scène ce texte. Elle est seule. C'est elle qui a fait les suppressions nécessaires parce que des passages n'avaient pas à être gardés. Elle développe tout ce récit qui touche énormément de gens car, après, beaucoup ont les larmes aux yeux ou se mettent vraiment à pleurer. Je suis plein de reconnaissance envers Anne de Boissy pour le très bon travail qu'elle a fait.
Vous avez publié en 2006 un poème qui est un hommage à Anne de Boissy, Acceptez-vous, pour terminer cet entretien, de nous en offrir la lecture ?
CHARLES JULIET : Bien volontiers.
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5 février 2014, le Café Français, Lyon
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